Gainsbourg, Chicandier et Bukowski…
L’image de l’alcool dans la culture populaire est en général assez positive. Combien d’artistes n’ont pas trouvé le prétexte de l’inspiration pour boire jusqu’à plus soif et parfois justifier une forte dépendance aux boissons alcoolisées.
Les exemples sont pour moi assez nombreux mais je n’en retiendrai que trois dans le domaine artistique…dont un toujours de ce monde…pour le moment…
Un des plus connus dans le monde francophone est Serge Gainsbourg. Un génie musical comme il y en a eu peu. L’homme était d’une culture rare et d’une sensibilité musicale hors pair. Mais il était aussi, ça n’est un secret pour personne, alcoolo dépendant. On peut trouver sur internet bon nombre d’interventions télévisées le montrant ivre et intervenant sous l’emprise de l’alcool. On l’invitait pour ça. On le sortait de son intérieur noir pour distraire le public qui pour la plupart, n’avait cure de ce qu’il composait et écrivait. On voulait le voir déraper.
Pierre Desproge a un jour écrit quelques lignes à son propos dont voici un morceau choisi :
« Quand j’étais petit garçon il y avait, dans le village limousin où je passais mes vacances, un homme à tout et à ne rien faire qui s’appelait Chaminade. (…)
C’était un homme simple, au bord d’être fruste. (…) À période fixe, comme on a ses règles ou comme on change de lune, Chaminade entrait en ivrognerie, par la grâce d’une immonde vinasse (…). Il s’abreuvait alors jusqu’à devenir violet, spongieux, sourd et comateux. Après sept ou huit jours, sa vieille mère, qui passait par là, le tirait de sa litière et le calait dehors sous la pompe à eau, pour le nettoyer d’une semaine de merde et de vomis conglomérés.
La plupart du temps, Chaminade n’avait pas le sou pour se détruire. Les petites gens du bourg se mêlaient alors de l’aider. (…)
Alors les hommes saoulaient Chaminade. (…) Au bout de huit ou dix verres, Chaminade était fin saoul, il prêtait à rire. (…) Quoi de plus aimablement divertissant, en effet, pour un pauvre honnête, que le spectacle irrésistible d’un être humain titubant dans sa propre pisse en chantant Le Temps des cerises ? (…)
On lâchait l’ivrogne sur la place du Monument-aux-Morts où il se lançait alors dans un concours de pets avec le poilu cocardier. Parfois, il improvisait sur La Mort du cygne, tenant les pans de sa chemise comme on fait d’un tutu, avant de s’éclater dans la boue pour un grand écart effrayant. Et les hommes riaient comme des enfants.
En apothéose finale, on remettait de force Chaminade sur son vélo et on lui faisait faire le tour du monument. À chaque tour sans tomber, il avait droit à un petit coup supplémentaire, direct au tonnelet. (…)
La dernière fois que j’ai vu Serge Gainsbourg en public, il suintait l’alcool pur par les pores et les yeux, et glissait par à-coups incertains sur la scène lisse d’un palais parisien, la bave aux commissures et l’œil en perdition, cet homme était mourant. Un parterre de nantis bagués et cliquetants l’encourageait bruyamment à tourner autour de rien en massacrant les plus belles chansons nées de son génie.
Irrésistiblement, ces cuistres-là m’ont fait penser aux ploucs, et lui à Chaminade. » (Fonds de Tiroir, Éditions du seuil, Points)
En quelque sorte, on exposait un malade au public comme on exposait la difformité d’un bouffon pour que le roi s’esclaffe.
Et c’est ce que j’ai l’impression de voir avec Jason Chicandier mais de manière différente, car dans son cas, il y a une volonté réelle de mettre l’alcool au premier plan, en tout cas, dans la plus grande partie de ses interventions destinées aux réseaux sociaux. C’est un instrument marketing qui selon moi lui permet de justifier sa consommation d’alcool tout en gagnant sa vie.
En lisant les commentaires sur sa page Facebook, je me suis rendu compte que beaucoup de gens s’y retrouvent. La culture des bons vivants, de l’apéro, du vin, de la bonne bouffe…et surtout de l’excès. On picole jusqu’à tomber raide. On gueule. On rit fort. On se casse la gueule. On rit à nouveau. On se fait coffrer par les flics. On dit de la merde. Tout ça pour quoi ? ne se souvenir que d’un tiers le lendemain, en se réveillant dans une piaule qu’on a retournée…quand on a la chance de savoir où on est.
Chicandier a fait de l’alcool son fond de commerce assumé.
Se bousculent alors des artistes se laissant tenter par une interview avec le nouveau trublion de la picole « à la française ». Laurent Gerra, Clara Morgane, Frédérique Beigbeder, pour ne citer qu’eux, se sont prêtés à l’interview arrosée d’une capsule se nommant « L’addiction s’il vous plaît ?! ». Le titre ne laisse aucun doute quant aux intentions du comédien de s’en mettre plein le gosier, tout en abordant des sujets qui sortent de la sphère éthylique.
Si ce garçon qui semble d’ailleurs assez sympathique, décide de se pochtronner du soir au matin, peu me chau. Partant du principe que chacun est libre de ses choix, je ne critique pas l’homme. Par contre, l’image que ce genre d’émission véhicule est pour moi dangereuse.
On justifie l’ivresse et l’excès de consommation de boissons alcoolisées par la célébration de « l’art de vivre à la française », « être un bon vivant » et toutes les autres images positives qui collent à tout cela.
Ca rigole, ça se tape dans le dos mais on ne filme pas le pathétique de ce qui suit toute beuverie. Les problèmes que cela engendre. Les gueules de bois innommables. L’anxiété qui accompagne chaque lendemain. Mais par-dessus tout, les problèmes physiques et psychologiques qui finiront par arriver. En continuant d’élargir le spectre au-delà de Chicandier, qu’est-ce qu’il y a de si sexy dans le fait de voir quelqu’un se détruire à coup de bouteilles ? Probablement que la reconnaissance de ses pairs et la validation d’un public plus nombreux chaque jour booste l’égo. Mais attention à la chute. Quand on se souviendra de Chicandier dans quelques années, j’espère pour lui que ça ne sera pas pour parler de l’ « alcoolo d’internet », tout comme sont plus nombreux ceux qui se souviennent de Gainsbourg pour ses passages télévisés alcoolisés plutôt que pour sa musique.
Par soucis d’honnêteté, et vu qu’il est le seul exemple toujours en vie de cet article, je me suis permis de lui faire lire la première version de ces quelques lignes. Outre le fait de souligner mon style maladroit, il m’a dit que Chicandier n’était qu’un personnage et qu’il ne buvait pas du soir au matin. Heureux de l’apprendre, le jeu n’en rend pas moins dangereux le message véhiculé.
Après Chicandier vient Charles Bukowski. L’écrivain n’aurait pas refusé d’apparaitre dans la capsule addictive de Jason. Il prétendait que son carburant alcoolisé lui permettait d’écrire et que sans lui, pas d’inspiration.
Pourquoi en parler me direz-vous, s’il n’a qu’un bon prétexte pour justifier son alcoolisme qui n’avait rien à envier à celui de Gainsbourg ? Et bien parce qu’en lisant un recueil de textes de lui sur l’alcool, je suis tombé sur ce qui est pour moi une pépite.
Il dit dans une interview reprise dans « Sur l’alcool » (éd Au Diable Vauvert):
« Avant j’écrivais tout le temps en picolant et/ou en étant bourré. Jamais je n’aurais imaginé écrire sans la bouteille. Mais ces cinq ou six derniers mois, j’ai eu une maladie qui m’a obligé à réduire ma consommation d’alcool. Alors je me suis mis à la machine en tâchant d’écrire sans la bouteille, et les mots sont sortis comme avant. Comme quoi ça n’a aucune importance. A moins qu’en étant sobre, j’écrive comme si j’étais bourré. »
« Comme quoi ça n’a aucune importance » !
L’alcool n’est pas une source d’inspiration. Le prétendre est juste un prétexte pour une personne dépendante (psychologiquement ou physiquement) de pouvoir avoir sa dose. Il en est de même pour tout autre prétexte.
Boire des quantités nocives d’alcool peut être un choix personnel. Pour rappel, la norme de l’organisation mondiale de la santé est de deux verres par jour pour les femmes et trois pour les hommes avec au moins un jour sans boire par semaine. Rajoutons à cela une norme au-delà de laquelle les effets sur le corps sont directement nocif : pas plus de 6 verres par occasions.
Mais choisir de boire de manière démesurée ne justifie en aucun cas de faire l’apologie d’un mode de vie soi-disant positif pour simplement tenter de justifier sa propre consommation de drogue.
On ne construit rien avec de l’alcool si ce n’est des problèmes.
Je reprendrai un comparatif déjà utilisé par ailleurs mais qui est le meilleur que je puisse avoir. Porteriez-vous aux nues un consommateur d’héroïne ? Trouveriez-vous normal de l’exposer sur un écran, s’injectant son poison en direct et d’en rire ? Trouveriez-vous ça amusant ? Je pense que non. C’est en ça que les mentalités doivent évoluer et changer. Considérer l’alcool pour ce qu’il est. Un produit dangereux à utiliser avec prudence. Il faut dramatiser l’abus d’alcool pour tout ce qu’il a comme impact sur le corps, l’esprit et la vie en général. Et je parle bien d’abus. De consommation excessive. Ne vous méprenez pas sur mon intention. Ce que je souhaite mettre en évidence ici et dans mes autres publications, ce sont les dangers d’une consommation excessive qui peut vite devenir nocive pour le consommateur. Oui, il y a le gout du produit, le savoir-faire, l’artisanat…mais arrêtons de rigoler…après trois ou quatre verres, on se fout complètement du goût. On ne déguste quasiment plus rien. On bascule au-delà de six verres dans la tamponne, seul ou accompagné. Si je reste honnête sur la valeur gastronomique de certains produits, il faut aussi l’être sur l’inutilité gustative d’une consommation de plus de quatre à six verres. Quand on se jette sur un apéro en rentrant du travail ou le vendredi soir avant d’aligner les bouteilles de pinard, on n’est plus dans la dégustation, on se planque juste derrière. On n’a certes pas envie de le lire ni de l’entendre mais il faut se rendre à l’évidence que se rassurer systématiquement à l’aide d’un psychotrope légal ne change rien à d’éventuels problèmes et ne fera jamais que les renforcer.
Alors pour ce qui est d’en faire publiquement un mode de vie, en tant qu’artiste, il faut aussi se rendre compte de l’impact négatif qu’on a sur toute un frange de la société. De l’influence de la banalisation des culs sec au 102 (double dose de pastis pour les néophytes). Du désastre que peut provoquer la banalisation d’une consommation de vin blanc le matin. Tous ces exemples montrent une tentative de faire valider sa dépendance comme un art de vivre mais impactent également les spectateurs qui pourraient trouver ça normal, alors que ça ne l’est pas !
Pour clôturer, j’anticiperai les éventuelles remarques que cet article pourrait provoquer.
Rabat-joie ! Cul tendu ! Traine la mitre ! Bla, bla, bla…bla, bla, bla…
Je ne bois plus depuis un peu plus de six mois (je vous renvoie à mon article précédent à ce sujet). J’ai été une espèce de Chicandier, à trouver toute les bonnes excuses pour picoler, particulièrement ces dix dernières années. Je buvais principalement les week-end et veille de jours fériés. Je me suis mis minable quelques fois. Sans jamais vraiment me poser de question vu que c’était une pratique courante dans mon entourage. En me livrant à un rapide calcul, j’ai consommé (à la grosse louche) en 20 ans 2080 bouteilles de pinard et croyez-moi, c’est une moyenne basse par rapport à la réalité. Donc, je sais ce que c’est de boire. Je sais ce que c’est de « faire la fête ». Je sais ce que c’est qu’une gueule de bois. Je sais ce que c’est d’avoir le bras pris dans le mécanisme des trois premiers verres qui mènent à tous ceux qui suivent.
Un des messages de Chicandier m’a fait beaucoup rire. Malgré ma critique sur l’image véhiculée, le personnage m’amuse et je ne peux honnêtement réduire tout son travail artistique à la promotion de l’ivresse et de la consommation excessive de boissons alcoolisées, même si elle est fort présente dans son travail.
L’homme me dit donc :
« Et puis j’ai lu que t’étais alco avant comme on dit « Les grosses catins deviennent les plus ferventes cathos »…après tout si c’est votre fond de commerce ! Laurent Ournac fait bien des vidéos sur le régime ! Le catéchisme des anciens pêcheurs, on connaît la ritournelle ! »
Je comprends le ton qui peut paraître agressif. Ca ne doit pas être agréable de lire ce que j’ai écrit et il doit en permanence faire l’objet de critiques incessantes.
Je ne bois plus une goutte d’alcool depuis sept mois et si j’ai décidé de pratiquer en tant qu’alcoologue, c’est parce que je sais quelle saloperie peut être l’alcool et, sans vouloir faire la morale à qui que ce soit, je veux aider tous les Chicandier à ne pas devenir des Gainsbourg, en leur prouvant que l’alcool ne nous apportera jamais un talent qu’on n’a pas.
Et pour répondre à Jason, si les plus grosses catins deviennent les plus ferventes cathos, c’est parce qu’elles savent ce que c’est de se faire baiser toute la journée par des inconnus, sans vraiment le vouloir, et qu’elles ne souhaitent peut-être pas ça pour d’autres femmes…