180 jours sans alcool
Le 26 avril 2021, j’ai avalé mon dernier verre de boisson alcoolisée. J’étais seul dans ma cuisine. Ma famille regardait la télé. Je regardais ce verre rempli de ce que je considère toujours comme un poison…
Je me suis demandé si j’allais y arriver. Qu’allait dire mon entourage proche? Ma famille? Mes amis? Les autres? Ceux que je ne croise que de temps en temps et qui, je m’en rendrai compte par après, seraient les premiers à juger ma démarche avec scepticisme.
J’ai avalé un grand verre de Martini blanc. Tiède. Tout juste sorti du bar. Une des boissons alcoolisées que je déteste le plus au monde. J’ai pris le temps de le gouter. J’étais décidé à ce que cela soit le dernier. Je le suis toujours.
La première gorgée m’a étonné. J’ai presque trouvé ça bon. Peut-être voulais-je me convaincre inconsciemment que je ne devais pas y renoncer. Quelques secondes passées, c’était bel et bien dégueulasse. Le geste était plus symbolique qu’autre chose. Un dernier pour la route. Le der des der.
A l’heure actuelle, je me sens bien. Je n’ai plus besoin de boire. Pour supporter certains autres. Pour être raccord avec mon environnement. Pour faire comme tout le monde. Pour survoler la réalité entrecoupée de gueules de bois dégueulasses et d’angoisses improbables.
180 jours sans alcool ça provoque certains changements. Beaucoup moins d’angoisses, justement. Plus de lucidité dans l’analyse des choses. Plus de calme pour gérer les situations compliquées. Les problèmes ne prennent plus des proportions énormes.
180 jours sans alcool, c’est une humeur qui s’améliore et un optimisme qui renait petit à petit. Ce sont aussi des matins plus faciles et une énergie qui revient pour donner envie de construire de nouveaux projets.
180 jours sans alcool, c’est aussi affronter le regard des autres. Le soutien des amis proches. Le doute des plus éloignés. Le scepticisme des « bons vivants » et l’agacement de certains de mes anciens pairs.
Je n’ai pas uniquement arrêté de boire par fantaisie ou par anticonformisme…même si le gout de la provocation me plait plus que certaines bières.
Je commençais à perdre le contrôle. Petit à petit. De plus en plus souvent. J’avais découvert certaines bouteilles de vin dont le fond n’était que dans l’oubli qu’elles provoquaient de plus en plus souvent. Mais ne vous trompez pas, je n’étais pas ivre mort tous les soirs. Je l’étais d’ailleurs très rarement. Saoul beaucoup plus souvent. Comme beaucoup de mes pairs. Quelques verres à l’apéro, deux ou trois bouteilles de vin en bonne compagnie, quelques bières pour dégraisser…des soirées qui ne tournent, au bout du compte, qu’autour de ça. Pour se rendre compte que boire est devenu l’activité principale qu’on attend avec impatience.
On convoque les initiés aux soupers rituels de fin de semaine. Le sacro-saint vendredi ! La fin de semaine qui autorise enfin de se déchirer la gueule à coup de bières, de pinard et autres pousses café en tout genre ! C’est vendredi nom de Dieu ! Rituel immuable parfois anticipé la veille…car on ne sait plus attendre. Sans compter les dimanche midi chez les amis…on déguste…on se remet de la veille…on en remet une couche. On oublie le temps de quelques jours ses problèmes…qui reviennent inexorablement le lundi matin…en pire…sans jamais s’atténuer. Le divin nectar donne cette impression de réconfort et devient parfois le médicament qu’on préfère se cachant derrière la délicatesse du cépage ou la force du grain. Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis attendant, inconscient, une chute inévitable.
180 jours sans alcool c’est se rendre compte de tout cela et refuser de le subir à nouveau. C’est ouvrir les yeux sur une société qui dysfonctionne et sur un État qui ferme les yeux. C’est refuser l’abrutissement institutionnalisé tout en acceptant d’être l’ennemi. Le trouble-fête. Celui qui vous tend un miroir lorsqu’il ose ne pas boire devant vous qui n’avez pas demandé à y réfléchir. Vous qui systématiquement vous justifiez auprès de moi lorsque je ne vous demande rien. Vous qui considérez trop boire mais le premier verre arrive toujours par automatisme. Vous qui dites souvent « J’arrête quand je veux » mais qui ne savez plus à quand remonte votre dernière semaine, votre dernier weekend, voire même votre dernier jour sans alcool.
180 jours sans alcool c’est aussi regarder les autres sans jugement. Parce qu’on sait qu’on a raison. Parce qu’on sait que quand on ne sait plus se contrôler, il faut à un moment arrêter. Ca ne disparaitra pas par magie. On ne pourra pas se dire que finalement on pourrait reboire un verre sans prendre le risque de retomber rapidement dans nos travers. Pourquoi ? Parce que l’alcool est une drogue dure qui s’insinue en nous petit à petit. C’est d’ailleurs pour ça que beaucoup nient la dangerosité du produit. Parce qu’ils ne sont pas encore dépendants. Certains ne le seront jamais. Mais beaucoup sont sur le fil du rasoir et échappe à l’aliénation de peu parfois.
180 jours sans alcool c’est avoir la volonté d’aider les autres à comprendre. Mais quand on continue de consommer un poison en toute connaissance des effets, est-ce du suicide ou de la stupidité ? C’est la question que je me suis posée il y a six mois. Avec tout ce que je sais, ma formation d’alcoologue, n’est-ce pas l’un ou l’autre que de continuer à consommer des boissons alcoolisées en sachant que le produit commence à prendre le contrôle de certains de mes comportements de consommation ? Je comprends alors mieux certains qui préfèrent ne pas savoir, rester dans l’ignorance, pour continuer à ingurgiter une boisson qui certes a bon goût mais dont c’est le seul côté positif. Tout le reste n’est qu’illusion et on n’en prend conscience qu’en se laissant la possibilité de vivre sans.
Certains me demanderont comment j’ai fait pour arrêter alors que j’étais ce qu’on appelle un « bon buveur »…alors que je n’étais qu’un « apprenti alcoolo-dépendant ». J’ai « juste » compris le jeu dans lequel je jouais. Un jeu de dupe. Un jeu d’illusion. L’alcool est un manipulateur pervers qui vous fait croire que vous avez besoin de lui et que ceux qui le critiquent ont tort. L’alcool est un manipulateur pervers qui vous fait croire que vous pouvez le quitter quand vous voulez. L’alcool est un manipulateur pervers qui vous fait croire que sans lui vous n’êtes rien…alors que c’est tout le contraire…
Sans alcool il y a moins d’angoisse, moins de peur, moins de douleurs.
Sans alcool il y a plus de joie, plus de sommeil, plus de motivation.
Pour reprendre mon exemple, je réfléchis mieux depuis que je ne bois plus. J’ai regagné en concentration et plus étonnant, je ris plus de bon cœur. Je m’amuse plus de la vie et les difficultés ne sont plus disproportionnées. C’est vrai que sans boisson alcoolisée, je ne me couche plus systématiquement après deux heures du matin le week-end…mais quand c’est le cas, c’est que je passe une excellente soirée. Et dois-je vous parler des lendemains tellement plus faciles ? Des décisions qui deviennent plus évidentes ? De l’optimisme perdu qui refait surface ?
Je suis prêt pour les 180 prochains jour sans alcool.
Je vais continuer à partager mon expérience. Je veux informer le plus de monde possible. Pas que je veuille convertir qui que ce soit. Je veux juste informer sur les dangers d’une consommation problématique voire nocive. Une fois de plus, pour que les gens qui m’écoutent, ou me lisent, puissent consommer ce qu’ils souhaitent en toute connaissance de cause. Sortons des schémas qui nous ont été enseignés. Refusons la fatalité de rituels nocifs. Décidons de fonctionner autrement. Non seulement pour nous mais aussi pour être des exemples d’avenir.
Je suis prêt pour les 180 prochains jours sans boisson alcoolisée…et si vous hésitez ne fut-ce que quelques secondes à me suivre, c’est qu’il est temps de le faire !