L’alcool, une drogue dure légale

«    - Et si l’alcool était une drogue ?

-       Je pense que c’en est une…

-       Ok, si l’alcool était une drogue dure alors ?

-       Ho c’en est une aussi, c’est certain…

-       Vous le savez déjà ?

-       Bien entendu !

-       Si vous le savez, pourquoi en consommez-vous autant ? »

 

Une des première information que je donne en formation sur l’alcool est cette définition du produit : 

« L’alcool est une substance psychoactive capable d’entraîner la dépendance. L’usage nocif de l’alcool entraîne une charge de morbidité ainsi qu’un fardeau économique et social important pour les sociétés.

L’alcool agit sur les personnes et sur les sociétés de nombreuses façons et ses effets sont déterminés par la quantité consommée et le mode de consommation.

L’usage nocif de l’alcool peut également avoir des effets sur l’entourage tels  que les membres de la famille, les collègues ou des étrangers. En outre, il a des effets sanitaires, sociaux et économiques importants sur la société en général. » (source : Organisation mondiale de la santé)

Ce que j’aime dans cette définition c’est que vous pouvez remplacer le mot alcool par n’importe quelle drogue illicite, ça marche aussi. Essayer avec Héroïne, Cocaïne, Crack ou Méthamphétamine, ça marche toujours. Pourquoi cela ? Parce que l’alcool est tout simplement une drogue dure comme les autres. Mais plusieurs choses la différencient de ses consœurs et en font la drogue la plus nocive sur la planète, tous effets confondus, je m’explique…

 

Tout d’abord, le chemin de dépendance.

C’est le temps que va mettre un consommateur régulier pour développer une dépendance physique au produit.

Dans son Rapport mondial sur les drogues (2018), l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime classait l’alcool en cinquième position sur sa capacité à rendre dépendant, derrière l’héroïne, la cocaïne, la nicotine et les barbituriques.

Le chemin de dépendance des drogues dures illicites telles que l’héroïne ou la cocaïne est assez court là où l’alcool peut rester en veille pendant des années avant de déclencher quoi que ce soit. 

Dans son livre « La méthode simple pour maîtriser sa consommation d'alcool », Alan Carr estime qu’un problème de consommation d’alcool peut apparaitre entre deux et soixante ans après le début de celle-ci. Bien que certainement non fondée sur des observations scientifiques strictes, je dirais que cette affirmation a beaucoup de sens quand on observe la manière dont les problèmes de consommation d’alcool se développent et se manifestent à travers le temps chez une personne.

À cela, vous pouvez également ajouter que selon la société scientifique de médecine générale (SSMG), seulement 15% des problèmes de dépendance à l’alcool sont diagnostiqué et seulement 8% sont effectivement traités. Comme la dépendance physique n’est que la partie visible de l’iceberg « problèmes de consommation d’alcool », je vous laisse imaginer le nombre de personnes touchées (consciemment ou pas) par le problème.

Donc, avant de développer une dépendance physique à l’alcool, il peut se passer beaucoup de temps, pendant lequel on continue de consommer en se disant « J’arrête quand je veux » ou « Je n’en ai pas besoin, je ne suis pas alcoolique, donc, ça va ». On habitue son corps au produit. On le laisse (de manière totalement inconsciente) modifier notre système cérébrale et on laisse ce produit prendre une place de plus en plus importante dans notre vie, sans véritable raison objective et justifiable. Le cerveau s’habitue à ce que nous buvons et à ce que ce geste de consommation accompagne systématiquement certaines étapes de la vie, rendant la consommation de boissons alcoolisées indispensable en tant que réponse à certains évènements ou états d’esprit. Les prétextes pour boire ne manquent dès lors pas. La fête, un bon repas, la tristesse, une bonne journée, une mauvaise journée… On veut se récompenser, on veut se réconforter…ce qu’on veut surtout, c’est se déconnecter de ses émotions, de ses angoisses et d’une certaine manière, ne plus ressentir de choses négatives. Au lieu d’apprendre à les gérer, on essaie de les masquer sans tenir compte du fait qu’une fois le produit évaporé, tout est toujours là où on l’a laissé.

La question qui, pour moi, se pose alors est : Est-ce le produit qui crée la dépendance ou est-ce la situation personnelle de la personne, son besoin de consommer dans une situation précise ou la nécessité de s’oublier dans le produit ? Les raisons de sa consommation et donc l’utilité du produit sont en grande partie responsable de la dépendance psychologique au produit qui risque de mener à la dépendance physique.

Certes, sur le long terme, la dépendance physique est créée par le produit. Quand on observe une personne dépendante physiquement, le besoin d’y retourner une fois le sevrage effectué n’est pas en totale relation avec un besoin physique. Une multitude de facteurs sont à prendre en compte dont les habitudes créées. La modification du centre de récompense effectuée par le produit lors des consommation répétées va influencer son besoin de consommer une drogue mais aussi, et selon moi avant tout, la situation personnelle de la personne.

C’est la fonction que l’on va donner au produit qui va déterminer en grande partie la dépendance. « Ha oui mais moi, je ne bois que pour faire la fête ! C’est une fonction positive, je n’ai pas de problème »…sauf si vous ressentez la nécessité de « faire la fête » (entendez ici de vous bourrer la gueule) tous les week-end afin d’oublier les problèmes de la semaine…

Combien de personnes ne m’ont pas déjà dit : « Je préfère boire un verre ou deux pour bien dormir plutôt que de prendre des médicament. On devient vite accro à ces merdes là ! »

Ce à quoi je réponds en général par un long silence et un léger sourire pouvant être interprété à souhait mais qui tourne souvent autour de « Et on ne devient pas dépendant de l’alcool ? »

En fait, le chemin de dépendance de l’alcool étant beaucoup plus long que celui des autres drogues dures, on a donc beaucoup plus tendance à ne pas s’en méfier et à ne pas voir le problème s’installer. On minimise l’impact que le produit peut avoir sur nous et les alcoolo-dépendants, partie visible de l’iceberg, sont les « faibles qui n’ont pas su se gérer correctement ». Malheureusement, et mes patients peuvent en témoigner, ça n’arrive pas qu’aux autres. Pour votre parfaite information, je traite une minorité de dépendants physiques avancés. La majeur partie de ma patientèle est composée de personne entre 25 et 75 ans qui estiment trop boire et devoir trouver un moyen de diminuer leur consommation avant de voir des problèmes majeurs apparaitre dans leur vie.

L’accessibilité et la publicité, les plus gros facteurs de risque 

On peut acheter de la bière, dès 16 ans, dans n’importe quel magasin d’alimentation et night shop. Je ne reviendrai pas sur l’enjeu de la consommation de boisson alcoolisée chez les jeunes (voir mon article précédent https://www.fgalcoologue.com/blog/alcool-lenjeu-jeune ). N’oubliez jamais que le cerveau humain n’arrive à maturité physique qu’aux alentours de 25 ans. En pleine croissance, il est beaucoup plus fragile et sensible aux attaques toxiques. Rendre l’alcool disponible dès 16 ans est pour moi une négligence grave de la part des pouvoirs publiques qui ne se doutent probablement pas de l’effet dangereux de l’alcool sur des adolescents ou peut-être certains décideurs pensent-ils que la bière n’est pas de l’alcool ? 

L’accessibilité est donc un facteur favorisant grandement la consommation. L’alcool est quasiment partout.

En plus de cette accessibilité, rajoutez une omniprésence visuelle des boissons alcoolisées. Est-il possible, dans des zones d’habitat relativement importantes, de faire un kilomètre sans voir une publicité pour une boisson alcoolisée ou même une enseigne de bistrot mettant en évidence une marque de bière ?

Notre cerveau est en permanence soumis à des images nous rappelant l’alcool.

Alors, pour la personne qui n’y est pas sensible, pas de problème, mais pour le personnes chez qui ces images stimulent certaines envies, c’est une véritable catastrophe. Sans parler des personnes qui se battent contre le produit et souhaitent arrêter de consommer, cette sollicitation visuelle et cette accessibilité du produit sont une véritable torture au quotidien!

Une fois de plus, je rappelle que je ne suis pas pour une interdiction de la vente d’alcool. Je suis pour une information massive de la population qui doit savoir ce qu’elle consomme. Il faut qu’une personne qui boive de l’alcool sache à quoi elle s’expose et qu’elle boive donc en toute connaissance de cause et surtout de conséquences.

Le travail a été, en partie, fait pour le tabac. Des mesures totalement identiques doivent exister pour l’alcool. Interdiction de publicité. Interdiction de vente avant 18 ans. Packaging neutre. L’alcool devrait également être limité à un rayon de magasin, dans le fond de celui-ci, pour que les clients ne doivent s’y rendre que s’ils le désirent. Je serais même pour l’instauration de magasins spécialisés dans la vente d’alcool et que l’accessibilité en grand magasin soit rendue impossible.

Je sais que beaucoup de dents grinceraient mais ce sont là, pour moi, des mesures logiques pour maitriser un minimum la diffusion d’une drogue dure en vente libre.

 

Mais revenons à la notion de drogue dure

Selon une étude de la Global Commission on Drug Policy datant de juin 2019, l’alcool est, toutes conséquences confondues (méfaits sur le consommateur et méfaits pour les autres), la drogue la plus nocive en pole position (note de nocivité (NdN) de 72 selon l’étude) devant, respectivement, l’héroïne (NdN 55), le crack (NdN 54), la méthamphétamine (NdN 33), la cocaïne (NdN 27) et le tabac (Ndn 26) qui arrive à la sixième place. Pour les fumeurs, notez quand même la proximité de la nocivité du tabac par rapport à la cocaïne… je dis ça…

Ce rapport confirme d’ailleurs celui de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime qui faisait le même constat en 2018 dans son Rapport mondial sur les drogues.

Nous faisons donc face à la drogue dure la plus nocive de la planète et qui est en vente libre dans presque n’importe quel commerce. Je ne reviendrai pas sur le chemin de dépendance, sur lequel nous n’avons aucune influence.

Par contre, l’accessibilité et la publicité sont des phénomènes qui sont totalement régulables… avec « juste » un peu de volonté et beaucoup de courage politique. Mais dès lors que l’on décide de s’attaquer à un problème de santé publique, on s’attaque également à une manne financière importante pour l’état qui, nous devons le constater, gagne de l’argent sur un produit dont la consommation excessive (plus de deux verres par jour avec un maximum absolu de six verres par occasion) est toxique pour le corps.

Si on prend la peine de calculer ce qui serait gagné en dépense de soin de santé si on diminuait l’accessibilité et la publicité des boissons alcoolisées, on gagnerait certainement sur ce que rapporte la vente et probablement plus...avec une population en meilleure santé.

Comme dit plus haut, il faut alors une réelle volonté politique pour diminuer les nuisances indéniables des boissons alcoolisées et adopter des mesures qui seront certes impopulaires mais qui permettraient, comme ça été le cas pour le tabac, de diminuer la consommation d’un produit toxique pour le corps de celui qui le consomme mais également pour toute la société qui l’entoure.

Est-ce que la prochaine fois que je reçois mes amis, j’aurai envie de proposer une poêlée de champignons hallucinogènes ou d’accompagner leur apéritif sans alcool d’un peu de LSD ? Vous ricanez sans doute du grotesque exemple…mais sachez que mes invités risqueraient moins à prendre un de ces deux produits dont l’indice de nocivité est respectivement de 6 et 7 quand l’alcool plafonne, comme évoqué plus haut à 72. Je n’encourage bien entendu pas la consommation de produits illégaux…mais je me demande alors quand même, vu sous cet angle, comment et pourquoi l’alcool est aussi facilement accessible et sa consommation à ce point encouragée par la société ?

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