Alcool, l’enjeu jeune.

A l’heure où la première polyclinique d’alcoologie pour mineurs va voir le jour à Anvers, il est peut-être important de se questionner sur le rapport que nos enfants et en particulier les adolescents et les jeunes adultes entretiennent avec l’alcool. 

Lorsque j’avais partagé sur les réseaux sociaux un article sur les abus d’alcool à l’Université de Louvain-la-Neuve, il y a quelques mois, j’avais lu en commentaire : « On est tous passé par là… »

Cette phrase tombant comme une fatalité de l’abus d’alcool dans le début de l’âge adulte, voire même de l’adolescence.

Cela revient à dire : « Les jeunes boivent, c’est normal. Il faut les laisser faire. Ca fait partie de l’apprentissage de la vie. Laissez-les se défoncer la gueule. C’est un passage obligé ! »

Vous vous douterez bien que je ne suis absolument pas d’accord avec cette affirmation. Pas sur le fait de l’expérimentation, je la comprends tout à fait, cependant, je ne suis pas du tout d’accord sur le passage obligé de cette expérimentation. Ce côté inévitable, voire même obligatoire.

« Oui, mais si tu les en empêches, tu vas renforcer leur envie d’essayer !» 

Une fois de plus, je suis tout à fait d’accord avec ça. Mais alors que faire ?

Avant d’aller plus loin, je vais partager avec vous l’expérience d’une personne vue en consultation d’alcoologie. Ce papa me raconte que sa fille, adolescente, consomme de temps en temps de la bière. Il l’a questionnée sur cette consommation et s’est rendu compte que sa fille n’aimait pas l’alcool et qu’elle en buvait pour faire comme ses amis. Pour faire partie du groupe. Ne levez pas les yeux au ciel sur le supposé manque de personnalité de la jeune fille, ça ne tiendrait pas la route une seconde. Pourquoi ? Parce que vous oublieriez l’adolescent que vous avez été et à quel point la pression sociale peut être forte lorsqu’on souhaite appartenir à un groupe.

De cette anecdote apparait une autre question qui est de se demander, à l’heure actuelle, quel parent prend le temps de s’informer sur les effets réels de l’alcool et d’en informer par un dialogue ouvert sa progéniture ? C’est un des sujets que chaque parent devrait aborder en plus des sujets sur les autres drogues (illégales, elles), la sexualité, le respect de l’autre et j’en passe…

 

« On a bu nos premières pintes à 15-16 ans, on n’en est pas mort ! La preuve, on est toujours là ! »

Il y a deux arguments à opposer à ce genre de réponse. Le premier est simplement de se poser la question de savoir si nos enfants sont condamnés à refaire les mêmes erreurs que nous. Je déplacerai donc le problème. Si vous avez commencé à fumer vers vos seize ans, ne seriez-vous pas inquiets de voir votre enfant faire de même ? Vous me direz, ça n’est pas la même chose. Je répondrai que vous avez totalement raison. L’alcool est beaucoup plus dangereux que la cigarette. Mais j’y reviendrai…

Le deuxième argument est qu’il y a quelques dizaines d’années, les mentalités concernant l’alcool étaient totalement différentes. La consommation et l’expérimentation de l’alcool se faisant dans un cadre plus familial. On faisait goûter de la bière ou du vin aux adolescents dans un cadre sécurisé. Ce dernier n’empêchait en rien les abus mais il y avait une ritualisation différente de l’alcoolisation. Cela avait plus souvent lieu lors de fêtes familiales. Maintenant, l’expérimentation se fait le plus souvent hors du cadre familial et en groupe. Celui qui ne suit pas le mouvement doit avoir une sacrée personnalité pour ne pas finir par succomber à la pression sociale ni se faire rejeter pour ne pas s’alcooliser comme les autres.

Je reviens sur la considération que l’alcool est plus dangereux que la cigarette.

En 2018, l’Office des Nations Unies contre le Drogue et le Crime plaçait l’alcool en pole position des drogues les plus dures. On peut en effet la considérer comme la plus nocive quand on cumule les méfaits pour l’utilisateur et pour son entourage.

Il faut dès lors prendre la peine de considérer le produit pour ce qu’il est vraiment. Une drogue nocive dont l’utilisation doit absolument être contrôlée, au même titre que la cigarette, voir même une drogue illégale comme le cannabis.

On ne peut pas laisser des enfants seuls, sans information sur ce produit dont la consommation est dangereuse pour leur santé mentale mais également physique.

N’oubliez jamais que le cerveau humain n’arrive à maturité physique qu’aux alentours de 25 ans. En pleine croissance, il est beaucoup plus fragile et sensible aux attaques toxiques.

Un foie humain ne pouvant métaboliser que l’équivalent d’une ou deux bières légères par jour, le surplus consommé se balade en tant qu’éthanol pur dans le sang. 

Imaginez quelques secondes votre adolescent boire 12,7 ml d’éthanol pur que vous iriez chercher dans un magasin de bricolage. Quelle drôle d’idée me diriez-vous ! Et bien c’est ce qu’il fait à chaque troisième, quatrième, cinquième voire sixième bière qu’il ingurgite (vous aussi d’ailleurs !). Vous n’avez pas envie de ça pour lui, je suppose ? Et bien il y a une assez bonne méthode pour prévenir cela. Laquelle ? Le dialogue et la prévention.

Il ne s’agit pas ici de vouloir interdire la consommation d’alcool aux plus jeunes mais de les éduquer. Même si, en lisant les effets de l’alcool sur un cerveau non mature, on se demande encore pourquoi des adolescent de seize ans peuvent se procurer de le bière en grande surface. Ha oui, drogue légale donc accessible aux plus fragiles…

Se pose dès lors la question de la responsabilité de l’État dans la diffusion d’un produit aussi toxique que l’alcool. 

Une fois de plus, on a fait de gros progrès sur la prévention du tabagisme, pourquoi ne pas le faire avec l’alcool ? 

Vous me direz, dans un pays où le championnat de football national porte le nom d’une bière, il ne faut pas s’attendre à une certaine conscientisation au problème de l’alcool dans la sphère publique. Mais je reviendrai dans un prochain article sur le sujet qui mérite un développement plus important.

Une fois encore, il ne faut pas ici ne vouloir considérer que la partie visible de l’iceberg, c’est-à-dire les alcoolos dépendants ou plus vulgairement ceux qu’on appelle des alcooliques. Il faut prendre en compte tous les dégâts causés par l’alcool et ce dans la majeure partie de cas non détecté et caché. Combien de problèmes de consommation de boisson alcoolisées ne sont pas diagnostiqués ni même pris en considération.

 

Ces problèmes de consommation prennent racines parfois très tôt. 

Regardez le parcours initiatique des étudiant belges. Presque toutes les activités tournent autour de l’alcool pour qui veut s’intégrer dans le folklore estudiantin traditionnel. 

C’est à qui boit le plus, le plus vite, le plus souvent, le plus longtemps… 

Nombre de manifestations estudiantines tournent autour de la bière. 

Les 24h vélo de Louvain-la-Neuve, la Saint V à Bruxelles, les Saint-Nicolas de Namur et Liège, pour ne citer que ces évènements, sont des manifestations qui ne sont que des excuses pour les étudiants de se bourrer la gueule avec, parfois, l’approbation de certains parents inconscients de l’effet catastrophique de l’alcool sur le cerveau encore en pleine formation de leurs enfants. 

L’argument « il faut que jeunesse se fasse » est dès lors totalement fallacieux. Le rôle de parents est, de mon point de vue, de protéger ceux-ci des danger que nous identifions. Nous devons les faire bénéficier de notre expérience. Il n’est pour moi pas question de les laisser découvrir seuls certaines choses que je sais toxiques ou mauvaises. Je dois les informer des dangers que j’ai moi-même identifié. Et si par après, ils décident de passer outre mes recommandations, il en est de leur propre responsabilité quant aux conséquences de leurs actes.

Pour clôturer l’importance de la prévention chez les jeunes, je vais vous donner un exemple très concret. Le mien.

J’étais hier attablé avec ma maman qui me disait : « Tu as arrêté de boire mais au bout du compte, tu n’étais pas alcoolique ? Tu ne buvais pas tant que ça ? » s’en est suivi une discussion de quelques minutes durant laquelle je lui ai dit que j’avais bu mes premières bières à l’âge de quatorze ans, chez les scouts. Elle m’a regardé interloquée en me disant qu’elle ne savait pas ça. D’où l’intérêt du dialogue sur le sujet. Pour moi, dès l’école primaire, il faut planter la graine de la réflexion dès le plus jeune âge pour que l’enfant réfléchisse à ce qu’il veut faire.

Je vais reprendre mon propre exemple par rapport à mes deux enfants. Depuis qu’ils sont nés, ils vivent dans un milieu familial où l’alcool est une boisson très présente. Les grands-mères ne crachent pas sur un verre de vin à l’occasion et leur maman et moi sommes des gens assez festifs (c’est le terme adéquat pour ne pas dire les pochtrons de week-end). Tous les week-ends, depuis au moins mes dix-sept ans pour ma part, les soirées sont rythmées par les guindailles qui avec le temps, se sont transformées en soupers entre amis. Tous les vendredi et samedi, c’est apéro suivi d’un repas bien arrosé de pinard et autres boissons éthyliques en tout genre. Pour mes enfants, c’était tout à fait normal de voir les adultes picoler tous les vendredi et samedi soir. Je voyais même se développer chez mon fils de 10 ans l’envie de pouvoir enfin faire comme son papa et gouter le divin nectar dont je vantais si bien les vertus gastronomiques. J’avais déjà tendance à leur parler des dangers de l’alcool et de son excès de consommation mais ça ne semblait pas avoir l’impact que j’espérais. Jusqu’à ce que je décide de ne plus boire une goutte d’alcool. Là, je leur ai à nouveau expliqué le pourquoi de ma démarche, l’exagération de consommation qui se faisait de plus en plus fréquente, le manque de contrôle qui apparaissait, les effets négatifs que je mettais de plus en plus en valeur et la totale inutilité de cette consommation que je sentais grandissante. 

En gros, je leur ai tout dit. Je n’ai a aucun moment essayé de leur cacher quelque chose sur les effets que cette consommation avait eu sur moi et du pourquoi de ma décision de ne plus consommer.

J’ai alors vu une modification de la perception que mes enfants ont de l’alcool. Ils ont intégré, en partie en tout cas, que l’alcool n’était plus un élément indispensable pour passer de bons moments avec mes amis et que ne pas boire n’avait pratiquement rien changer dans mes rapports aux autres.

Ma fille m’a ouvertement dit qu’elle ne souhaitait pas du tout goûter à ce produit qu’elle identifiait elle-même comme dangereux. Quant à mon fils, il m’a dit une fois être totalement dégouté des comportements ridicules qu’il constatait chez les gens qui buvaient trop.

 

Je clôturerai par un dernier exemple vécu en septembre de l’année passée. La maman de mes enfants et moi sommes des marcheurs de l’entre Sambre et Meuse. Pour ceux qui ne connaissent pas cette coutume de la région de Charleroi, une marche folklorique est une procession où les participants sont vêtus de costumes militaires napoléoniens. En gros, on marche entre potes au son des tambours et on boit. L’arrière-grand-père de mes enfants est un des membres fondateurs d’une marche bien connue dans la région de Charleroi et leur maman baigne dedans depuis petite. Personnellement, je suis responsable d’un peloton dans cette marche depuis plus de dix ans et y marche depuis plus de vingt. Tout ça pour vous dire que nos enfants sont dans ce bain là depuis leur naissance. 

En septembre dernier, donc, ma fille marche pour la première fois. A la fin de la journée, mon fils assiste également au cortège final qui ponctue la marche et tous deux sont présents près des bars mobiles installés pour l’occasion en fin de journée. Le lendemain est alors l’occasion de voir comment s’est passé leur marche. De cette discussion émerge une constatation qu’ils font tous les deux avec une certaine forme de dégout. Ils ont eu l’occasion de voir plusieurs personnes sous l’effet de l’alcool lors de ce week-end et me font part de leur stupéfaction par rapport à l’état dans lequel les gens se trouvent : 

« On aurait dit des drogués »

Je n’ai pu que valider leur constatation en leur expliquant que c’était l’état dans lequel on se trouvait lorsqu’on abusait de l’alcool et que ça n’était pas systématique…mais leur air dégouté m’a fait comprendre qu’être confronté à l’abus et ses effets était parfois plus efficace qu’un long discours…à moins que le discours ait semé les graines de la réflexion et que la constatation les ait faites germer…

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