Un homme, ça boit !

Quand on ne consomme plus (pas) de boisson alcoolisée, c’est très amusant de remarquer ce que la sobriété volontaire provoque chez ceux qui décident (in)volontairement (?) de boire de l’alcool. 

Lorsque j’ai décidé de ne plus consommer de boisson alcoolisée, il a fallu passer par la délicate étape de l’annoncer à mon entourage.

J’ai donc fait face a certaines réactions catastrophées du « HEIN !!!!???? » au « Mais non, je ne te crois pas ! » en passant par le « Non mais c’est temporaire ou c’est vraiment pour toujours ? » …autant de réactions face à l’impensable pour beaucoup de gens de mon entourage proche ou éloigné…ne plus consommer d’alcool. 

Mais ça ne s’arrête pas là…ça serait trop facile…

Imaginez, je suis sur la route de mes vacances. Nous nous arrêtons, ma famille et moi, dans un hôtel en France. Nous passons à table pour le souper. Rassurez-vous, sans alcool, les repas ne sont pas du tout ennuyeux…mais ça, nous en reparlerons plus tard.

Nous voici donc à table. La commande pour l’apéro est : un verre d’eau, une limonade, un cocktail de jus de fruits et un verre de vin blanc. 

Le serveur arrive. 

Il dépose le verre d’eau devant ma fille, la limonade devant mon fils et, probablement par politesse, car il est certain que je boirai le verre de vin, demande pour qui est le cocktail sans alcool. Je lui réponds « pour moi ».

Quelques secondes de silence puis il reprend : 

« Mais Monsieur !? »

Je viens de lui envoyer un uppercut en plein menton. 

Je pense que le mec est tellement surpris qu’il aurait pu faire un malaise.

Il se tenait debout, prêt à déposer devant moi un verre de Sancerre qui ne pouvait que m’être destiné et voilà que j’ai l’outrecuidance de chambouler son schéma de pensée en réclamant mon cocktail sans alcool. J’ai ici envie de compléter sa phrase…

« Mais Monsieur…vous n’allez pas me dire que vous n’allez pas boire d’alcool ? Vous n’allez pas me dire que le vin blanc est pour votre femme ? Ça n’est pas possible ! Êtes-vous un homme ? Un vrai ? Vous qui osez vous afficher sur la terrasse de notre restaurant sans même la moindre petite bière ? Êtes-vous malade ? Mon cœur me lâche, mes jambes fléchissent, je chois… »

Oui, parce que pour beaucoup de gens, quand on ne boit pas d’alcool, c’est qu’on est forcément malade. Personnellement, j’estime qu’on l’est quand on ne sait pas s’en passer, mais bon ! C’est d’ailleurs une des questions qu’on m’a déjà posée suite à mon arrêt de consommer :

 « Tu as des problèmes de santé ? » 

Ce à quoi je réponds « Pas du tout, bien au contraire, j’ai arrêté pour être certain d’en avoir beaucoup moins ! ».

Mais revenons à notre serveur qui après avoir déposé mon cocktail de jus de fruits en face de moi a terminé son service en pensant à « l’homme qui n’avait pas bu d’alcool ». 

Cette image doit probablement encore le hanter. 

Depuis deux jours, il sert des cocktails sans alcool espérant à chaque fois que ça sera bien une femme, voire un enfant, qui l’avalera et plus un barbu de 90 kilos qui aurait mieux fait de prendre une bière pour qu’il puisse continuer de dormir sur ses deux oreilles. Parfois, il se tient coi, immobilisé par cette idée qu’un homme puisse refuser de boire de l’alcool. La nuit, mon visage le hante. Il gémit dans son sommeil des imperceptibles « pas lui ! » desquels il se réveille en sueur.

J’espère que la violence de mon acte lui permettra de s’interroger sur l’idiotie de cette pensée selon laquelle « Un Homme, ça boit ! ».

La réaction de ce serveur illustre très bien la société dans laquelle nous vivons et nous démontre à quel point l’alcool y tient une place importante. 

Je sais ce que vous vous dites « Ce mec est gentil mais il enfonce quand même des portes ouvertes ! » …d’une certaine manière, vous avez raison…mais vous êtes-vous déjà penché plus de dix secondes sur le sujet ?

Pensez à une autre personne 

Peut-être une que vous connaissez. 

Une personne qui a de gros problèmes de consommation de boissons alcoolisées.

Une personne qui ne savait plus s’arrêter de boire après trois verres. 

Une personne qui avait pour habitude de consommer à un point tel que sa famille s’inquiétait pour elle. 

Cette personne a décidé d’arrêter de boire. Pour elle, mais aussi pour ses enfants et son/sa partenaire de vie. Ça n’est évidemment pas facile pour elle. Elle a dû réfléchir longtemps à cette décision qui était la meilleure qu’elle ait prise pour sa vie. 

Cette personne hésite encore. « Est-ce le bon choix ? Vais-je y arriver ? » 

Elle sait que c’est ce qu’il y a de mieux pour elle. Elle remarque même les améliorations que cet arrêt a amené à sa vie. Plus d’énergie. Un meilleur sommeil. Une pensée plus fluide. Des relations sociales plus épanouies même si certains ont pris des distances suite à cette décision de ne plus boire. 

Et un soir, assis à une table de restaurant, elle se retrouve face à cet homme qui lui fait ressentir qu’elle n’est pas normale. Qu’un homme, ça doit boire de l’alcool. Que ça n’est pas envisageable autrement.

Remplacez dans cet exemple l’alcool par un autre psychotrope (oui, l’alcool est un psychotrope) comme le cannabis, la cocaïne ou l’héroïne. La réaction de ce serveur vous semblerait totalement déplacée, non ? Plus simple, remplacez l’alcool par la cigarette. « Quoi ? vous ne fumez pas ? »

Vous auriez alors tendance à avoir envie de répondre « Non, connard et je t’emmerde ! »

Dites-vous que je suis un homme censé et que c’est exactement la réponse que j’aurais eu envie de fournir à ce monsieur. Mais je ne l’ai pas fait. Pas spécialement par politesse. Simplement parce qu’il ne comprend pas mon mode de pensées et est enfermé dans un système dans lequel « Un homme ça boit de l’alcool ! » alors que j’ai décidé de rentrer dans un système dans lequel on se dit « Je n’ai plus besoin de psychotrope pour vivre ma vie ». 

La réaction de ce serveur, à qui je n’en veux pas du tout, nous éclaire sur la place de l’alcool dans la société. Elle m’éclaire aussi personnellement sur celle que je voudrais qu’elle ait. Pas celle d’un produit banni de toute consommation mais celle d’une drogue légale qui doit être traitée comme telle. Comme c’est déjà le cas pour la cigarette.

Notre société est un calvaire pour les gens qui ont le courage de ne pas boire d’alcool. Je parle ici de courage car c’est un combat contre la société qui a érigé l’alcool plus haut qu’un médicament. On ne laisse pas prendre d’anxiolytique, d’anti inflammatoire ou d’antibiotique sans autorisation écrite d’un spécialiste…mais un poison pour le corps se trouve dans n’importe quel magasin et détruit des vies entières depuis des siècles…cherchez l’erreur…

Une personne qui décide de ne pas boire est confrontée en permanence avec le produit de son addiction. En faisant ses courses, on se promenant en rue, dans sa voiture, dans les transports en commun…l’alcool est partout. Quand il n’est pas un problème, on ne le remarque même pas. Mais quand on essaie de lui échapper, durant le premier temps de sevrage pour certains, il est omniprésent et ceux qui s’en sortent font preuve d’une force de caractère gigantesque. 

Une fois de plus, transposez la situation avec d’autres psychotropes…qu’il y ait un rayon pour le cannabis dans les grands magasins accessible aux plus de 16ans et un rayon cocaïne, héroïne, crack pour les plus de 18ans. Vous trouveriez ça normal ?

Mieux encore, imaginez une publicité qui passerait pendant que vos enfants regardent leur série préférée. Une réception très chic. Plein de belles personnes sur leur 31 qui semblent deviser intelligemment ensemble. Un serveur passe avec un plateau et chacun se sert, s’installe tout sourire dans un fauteuil, relève la manche de sa chemise à 250 balles et s’enroule un élastique autour du bras avant de s’envoyer un shoot d’héroïne.

« Mais enfin ! C’est totalement exagéré ! On ne peut pas comparer l’alcool à l’héroïne ! »

Ah pardon ! Je peux tout à fait le faire. La définition de l’alcool par l’Organisation Mondiale de la Santé (qui classe l’alcool dans les drogues dures depuis 1999) est :

« L’alcool est une substance psychoactive capable d’entraîner la dépendance. L’usage nocif de l’alcool entraîne une charge de morbidité ainsi qu’un fardeau économique et social important pour les sociétés.

L’alcool agit sur les personnes et sur les sociétés de nombreuses façons et ses effets sont déterminés par la quantité consommée, le mode de consommation

L’usage nocif de l’alcool peut également avoir des effets sur d’autres personnes, telles que les membres de la famille, l’entourage, les collègues ou des étrangers. En outre, il a des effets sanitairessociaux et économiques importants sur la société en général. »

Est-ce que cette définition ne s’applique qu’à l’alcool ? Ne pourrait-ce pas aussi être celle de l’héroïne ? 

Mais c’est vrai qu’il y a une grosse différence entre l’alcool et l’héroïne. Le trajet de dépendance du premier est beaucoup plus long. On peut consommer des années sans le moindre problème. Mais à dépendance égale, les deux produits sont identiques. L’alcool, vous ne le voyez juste pas venir et la société en valide la consommation. 

Je veux quand même nuancer mon propos. J’utilise une image choc pour débanaliser l’usage de l’alcool et surtout l’image qu’il a dans la société. Il est clair que quelqu’un qui boit de l’alcool n’est pas systématiquement un toxicomane. Beaucoup de personne boivent de temps en temps de l’alcool sans que cela n’engendre le moindre problème et ce tout au long de leur vie.

La comparaison est valable pour les personnes qui vont développer, petit à petit, des problèmes de consommation. Quand on commence à perdre le contrôle. Quand on ne sait plus s’arrêter de boire. Quand l’alcool devient un exutoire. Quand il acquiert une fonction dans notre mode de fonctionnement. Quand on n’envisage pas la vie sans. Là, il est comparable à l’héroïne. Parce qu’il fonctionne de manière identique pour l’héroïnomane.

Rassurez-vous, je ne mets pas tous les consommateurs d’alcool dans le même panier. Beaucoup n’ont pas besoin d’aide…mais beaucoup d’autres oui, dont une grande majorité n’en est pas consciente.

Pour conclure sur une note positive, figurez-vous que j’ai bu mon cocktail de jus de fruit en riant avec mon épouse de la réaction du serveur qui nous en a rappelé une autre.

Nous étions tous les deux dans un restaurant de Charleroi. J’avais commandé une orangeade pour l’apéro et mon épouse un verre de vin blanc. Le serveur nous servit et ne put s’empêcher de commenter cette situation atypique, également pour lui. 

« Ha, les rôles sont inversés chez vous ! » et de ponctuer sa phrase par un rassurant « et franchement, je trouve ça très bien ! ». 

OUF ! Un homme, ça peut ne pas boire d’alcool !

Photo: Nicolas Cage - Leaving Las Vegas
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