Le binge drinking, un jeu d’enfant?

S’il est un mode de consommation de boissons alcoolisées particulièrement associé à la jeunesse, c’est bien le binge drinking. La représentation que les adultes se font de cette pratique est souvent une bande de jeunes qui boivent tout et n’importe quoi avant de partir en soirée pour déjà ressentir l’ivresse de l’alcool ou, en d’autres mots, beaucoup plus proche de ce qu’on pense, être complètement défoncés !

Le pourquoi de cette pratique est assez variable. Se sentir plus à l’aise dans un groupe, pour faire comme les autres ou pour ne pas trop dépenser d’argent en soirée. C’est bien connu, une fois qu’on a atteint l’état d’ivresse souhaité, on ne boit plus rien. 

Mais je ne m’attarderai pas sur les raisons qu’ont les adolescents et les jeunes adultes de consommer rapidement de grandes quantités d’alcool, même si le sujet mérite à lui seul d’être creusé, mais plutôt sur le rapport qu’ont les adultes avec cette pratique.

J’entends certains d’ici : « Je ne comprends pas pourquoi les jeunes font ça ! Ils ne profitent pas. De mon temps, je buvais déjà pour le gout et le plaisir…je ne courais pas après l’ivresse ! ». J’en déduirais alors logiquement qu’ils ont une consommation raisonnable et qu’ils ne sont que très rarement surpris par l’ivresse. Toutes mes félicitations !

Mais comme toujours, concernant d’alcool en tout cas, tout est une question de compréhension et d’interprétation. 

Je lisais dans la presse un article sur les effets du binge drinking et la définition qui en était donnée était la suivante : 

« (…) façon de consommer de l’alcool de manière intense, mais épisodiquement. Les binge drinkers ne boivent pas tous les jours mais lorsqu’ils le font, ils boivent en quantité massive. »

Arrêtons-nous sur cette partie de la définition qui est pour moi très importante : « quantité massive ». 

 

Qu’est-ce qu’une quantité massive ? 

Là est tout le problème quand il s’agit d’alcool et permettez-moi une légère digression. 

Quand on parle de représentation de problème de consommation d’alcool, sachez bien une chose, celui qui boit trop, c’est toujours celui qui boit plus que nous c’est d’une certaine manière un réflexe de survie de notre inconscient. Considérer comme problématique une consommation en dessous de la sienne, serait reconnaitre implicitement qu’on a soi-même un problème. De ce constat naitrait alors un conflit interne qui tendrait à dire « Si ce mec à un problème et qu’il boit moins que moi, pourquoi suis-je en train de me détruire encore plus que lui ? ». Plus clairement, notre cerveau à tendance à nous empêcher de voir la vérité en face pour nous « protéger ».

Je prendrai pour exemple, un de mes patients à qui je demandais s’il était suivi par un médecin généraliste. Il me répondait que son médecin n’estimait pas qu’il avait un problème de consommation de boisson alcoolisée. Trouvant moi-même les quantités consommées comme étant tout de même élevées, je lui demandai d’où il connaissait son médecin. Ils étaient amis depuis de nombreuses années et lorsque je demandai à mon patient si son médecin buvait autant que lui, il me répondit qu’il buvait probablement plus…d’où le diagnostic médical totalement faussé.

Quand je vous parle de quantité massive, vous allez tous avoir une représentation différente de ce que cela représente. Cette quantité sera donc directement évaluée en rapport avec votre propre consommation. Et comme vous n’avez certainement pas de problème de consommation de boissons alcoolisées, pour vous, une quantité massive sera bien au-dessus de ce que vous buvez d’habitude.

Pour certain cela pourrait représenter trois bières, pour d’autres une bouteille de vin et pour certains trois bouteilles de vodka. 

C’est tout à fait normal d’effectuer cette conversion qui permets de maintenir l’illusion de contrôle dont un consommateur, excessif ou non, a besoin pour se rassurer sur le fait qu’il n’a pas de problème de consommation.

 

Mais si nous avons tous une définition différente de la quantité massive, comment s’y retrouver ?

Rassurez-vous, des normes de consommations ont été établies afin de savoir à partir de quel moment on doit s’inquiéter de sa consommation d’alcool. Mais pas seulement. Il existe une définition de ce qui peut être considéré comme binge drinking. Ces normes vont probablement mettre à mal l’illusion de certain de ne pas avoir de problème de consommation d’alcool mais cela permet aussi (et surtout !) de faire le point avec soi-même et de se remettre en question. Ce qui est très positif sur le long terme.

Pour être précis, il faut d’abord définir ce qu’on entend par « un verre de boisson alcoolisée ». 

Il s’agit d’un verre contenant 10gr d’alcool pur. 

Pour faire simple, il s’agit de 25 cl de bière à 5,2% (pils), 10cl de vin à 12,5% ou 3cl d’alcool à 40%. 

C’est ce qu’on appelle la norme HORECA. Il n’est pas ici question des bières spéciales dont le degré d’alcool est assez variable, ni des vins titrant à plus de 12,5%. 

On estime qu’une bière spéciale représente entre 1,5 et 2 verres, par rapport à la norme HORECA.

L’idée est de pouvoir se situer dans sa consommation en utilisant les mêmes références. 

Une fois cette précision apportée, il me faut vous expliquer la norme OMS (Organisation Mondiale de la Santé) qui préconise une consommation maximale de 3 verres de boisson alcoolisée par jours pour les hommes et 2 pour les femmes, avec un maximum donc de 21 verres par semaine pour les uns et 14 pour les autres. 

Pourquoi ces chiffres ? Parce que c’est la quantité maximale qui est métabolisable par votre foie, chaque jour. Si vous buvez plus, le foie ne fait plus son boulot et l’éthanol se balade librement dans tout votre corps provoquant une altération de vos cellules, partout où il passe.

Je tiens à préciser aux plus astucieux d’entre vous que consommer 21 verres sur un seul jour de la semaine ne permet pas de dire « je suis dans la norme OMS »…n’oubliez pas, 3 ou 2 verres maximum par jour selon votre sexe.

Une fois posé ce jalon, développons peut-être alors ce que nous pouvons considérer comme du binge drinking. On peut considérer que l’on pratique le binge drinking lorsqu’on arrive à une consommation de 6 verres de boissons alcoolisées sur une durée de deux heures. Certains spécialistes ne prennent pas en considération la notion de temps et considère comme du binge drinking le fait de boire plus de 6 verres lors d’une seule et même occasion. Une fois de plus, le calcul est à faire aux normes horeca…qui ne sont pas respectées si vous faites quatre verres avec une seule bouteille de vin.

A la lumière de cette explication, la question que je me suis alors posée a été : « Mais est-ce qu’il n’y a que les jeunes qui consomment de cette manière ? »…pour moi, la réponse est évidente : non !

En rejetant un œil sur ma propre consommation passée et en observant les gens autour de moi, le binge drinking est un mode de fonctionnement assez répandu avec la différence qu’à l’âge adulte, on ne se charge pas avant de sortir mais on boit généralement avec ses amis, le week-end…deux ou trois verres à l’apéro, trois ou quatre verres de vin lors du repas et parfois une bière spéciale ou un digestif pour clôturer…quand on s’arrête là…

Le calcul est vite fait…sur l’exemple ci-dessus, on est à l’équivalent de 9 ou 10 verres sur une soirée. Alors est-ce du binge drinking ?…peut-être pas à stricto sensu…mais cela s’en rapproche fort et l’impact sur le corps n’en est pas moindre…

A court terme, une consommation excessive d’alcool (6 verres ou plus lors d’une occasion) entraine des risques de chute, accident de la route, des rapports sexuels à risques et/ou regrettés (quand ils ne sont pas non désirés !), déshydratation, hypothermie, violence, coma éthylique…etc…etc…etc…

Mais vous savez déjà tout cela…peut être que les effets à moyen terme vous interpelleront plus.

Les fonctions exécutives du cerveau sont mises à mal (planification, mémorisation, inhibition, adaptation au contexte…) et des lésions cérébrales peuvent apparaître. Ces lésions peuvent réduire et déréguler l’activité du cerveau. On peut également voir apparaitre une modification de l’humeur, voir une baisse de la concentration et de l’attention sur le long terme. 

Sur le long terme, on observe également un désinvestissement au travail, des problèmes d’anxiété, de dépression et de sommeil…sans oublier l’apparition de symptômes d’alcoolo dépendance qui, comme à leur habitude, s’installeront petit à petit, sans que la personne ne s’en rende vraiment compte.

 

Mais quel est l’intérêt d’aborder ce sujet ? 

Mettre le doigt sur un comportement beaucoup plus répandu, généralisé et fréquent qu’on ne le croit. 

Nous devons prendre conscience de notre consommation d’alcool et arrêter à tout prix de la banaliser. Comme les fumeurs sont conscients qu’ils s’empoisonnent, les personnes qui consomment de l’alcool doivent se rendre compte qu’elles consomment un des plus puissants psychotropes, ce qui n’a rien d’anodin. 

Le plus important, au bout du compte, est que la personne qui consomme des boissons alcoolisées le fasse en toute connaissance, si pas des causes, mais au moins des effets qu’elle risque de subir. La consommation étant alors un choix éclairé et conscient…ce qui est encore bien trop souvent rare.

Il y a quand même une assez bonne nouvelle ! On peut récupérer des effets du binge driking et récupérer ses capacités cérébrales à moyen et long terme. 

Mon objectif n’est pas de pointer du doigt un comportement mais de le mettre en évidence pour provoquer une prise de conscience chez les personnes qui en ont besoin. Un de mes objectifs en tant qu’alcoologue est de questionner sur la place de l’alcool dans la vie de mes patients. Ce questionnement étant axé sur ce que la consommation de boissons alcoolisées apporte de positif à la personne mais aussi de mettre en lumière les aspects négatifs de cette consommation. 

Avec le binge drinking, ces aspects négatifs sont nombreux,  encore faut-il être conscient qu’on le pratique. Si c’est chose faite, tant mieux. Vous savez maintenant ce que vous pouvez éventuellement modifier dans vos habitudes de consommation pour vous sentir mieux dans votre vie de tous les jours. 

 

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